Jacques Tardi – Putain de guerre - 1/2

Publié le par Miss Cinnamon


Il pleut. Les maisons sont en briques, et conservent encore les traces de vieilles réclames commerciales sur leurs murs. L'orage tonne au loin. Nous sommes en Picardie, dans la Baie de Somme, où entre le 1er juillet et le 18 novembre 1916, des milliers d'hommes trouvèrent la mort lors de la Bataille qui porte le même nom.


À l'Historial de la Grande Guerre,  une exposition célèbre le trait puissamment inspiré du dessinateur de BD Jacques Tardi, témoin postérieur de la Grande Guerre. Cette exposition, curatée par Vincent Marie, reprend des planches inédites de ses albums Putain de Guerre, C'était la Guerre des tranchées, La fleur au Fusil, Varlot soldat...mais aussi des documents d'époque, photographies et publicités, œuvres picturales d'Otto Dix, ainsi qu'une sculpture, un squelette grimaçant en uniforme, réalisée à partir d'un dessin de Tardi.

L'exposition commence sur un tableau de Tardi, Ce qu'ils ont rêvé et ce qu'ils ont vécu, représentant une « gueule cassée » comme oubliée au sein d'un fatras patriotique de casques et de rubans bleu-blanc-rouge. En arrière-plan, une fenêtre ouverte dévoile les horreurs de la guerre, peut être tapies dans les méandres du cerveau de l'ancien combattant. Cette paraphrase de Dante, puis de Dali, ouvre superbement l'exposition, et élève les planches de Bande Dessinée au rang d'œuvres d'art.

Divisée en trois pans, l'exposition commence par « imaginer et cauchemarder la guerre », puis « témoigner, documenter, sensibiliser » pour s'achever avec « dénoncer la guerre »
Si la première partie, présente la « patte » si particulière à Jacques Tardi, la deuxième s'intéresse  à son travail de fourmi, avec l'aide précieuse de son ami et collaborateur Jean-Claude Verney, notamment par le biais d'une vidéo éclairant la méthode de travail de Jacques Tardi. La scénographie s'attarde également sur les 5 sens, comme si le conflit pénétrait le corps par toutes ces aptitudes, montrant que l'on peut voir, goûter, toucher, sentir et entendre la guerre. Quant au dernier acte, il dénonce purement et simplement les horreurs et exactions de la guerre, fustigeant en un seul élan l'état-major, l'autorité, l'institution militaire, et la religion.

Le commissaire d'exposition Vincent Marie a accepté de répondre à mes questions.


Pouvez-vous me parler de la genèse de l'exposition ?

Je travaillais sur un petit document pédagogique sur une œuvre de  Tardi, C'était la guerre des tranchées, et j'ai contacté l'Historial pour pouvoir reproduire des photos dans cet album en regard des vignettes de Tardi. Dans une discussion avec Marie-Luz Céva (la directrice déléguée à la programmation culturelle et à la communication, NDR), nous avons évoqué les expositions qu'elle prévoyait d'organiser sur la bande dessinée. Il s'agit d'un concours de circonstances : j'enseigne l'histoire-géographie à l'Université de Montpellier, en médiation culturelle. Je suis spécialisé en Bande dessinée, et en représentation historique via la BD ; je rédige actuellement une thèse sur « BD et histoire » à travers une approche culturelle, et Marie-Luz Céva a trouvé intéressant de mettre sur pied une démarche de réflexion à propos de l'œuvre de Tardi, de ne pas exposer ses planches de façon isolée, mais de construire un discours pour montrer  l'idéologie véhiculée à travers sa création.
 La première guerre mondiale à travers la BD fera l'objet de deux expositions à l'Historial : la première, donc celle-ci, « Tardi », du 14 mai au 23 août 2009 et la deuxième, « La grande guerre dans la Bande Dessinée, de 1914 à aujourd'hui », du 18 septembre au 13 décembre 2009. Sachant que la problématique qui s'est posée dans le cadre de la seconde exposition est : « Comment dessiner après Tardi ? Comment s'emparer du sujet après lui ? ». Nous avons travaillé pour cela sur différents axes : le réalisme, dont se réclame Tardi, l'onirisme, qui s'éloigne de son école, la science-fiction, et enfin la fibre humoristique, extrêmement rare car elle ne concerne que deux ouvrages sur le corpus de l'exposition (plus de 200 œuvres).


Comment a été décidée la scénographie ?

Deux scénographes ont travaillé avec moi sur l'élaboration de l'exposition. J'ai été totalement libre sur mon propos : j'ai rédigé moi-même les textes de la scénographie. Puis je les ai fait validés par Jacques Tardi, qui était en accord avec ce que j'avais écrit. Il a réellement joué le jeu d'une analyse de son œuvre, ce qui n'est pas vraiment facile pour un auteur. L'idée était de montrer à la fois toute sa production sur 14-18, depuis ses débuts en 1970, jusqu'à aujourd'hui, et surtout expliquer son idéologie. Ce que j'appelle « la Fabrique de la Grande Guerre de Jacques Tardi », mais « Fabrique » dans tous les sens du terme, d'une part au niveau de la technique, (comment il réalise ses planches, comment il travaille avec Jean-Pierre Verney) quelle source et quelle documentation il utilise. Et « Fabrique » dans le sens « mémoire ressaisie », « reconstruction » d'une image de 14-18, car Tardi n'a pas vécu les événements.  Donc c'est une REprésention, au service d'une dénonciation de la guerre. C'est un discours profondément antimilitariste qui est le sien.


C'est votre premier rôle entre curateur ?

En tant que commissaire, oui, c'est la première fois ! C'est extrêmement enrichissant, notamment par ce contact avec un auteur, et pas des moindres. J'ai passé des journées entières avec lui, à choisir les planches qui seraient exposées, à discuter de ses techniques de travail, à aller chercher dans son grenier ses premières planches. Donc ce fut enrichissant au point de vue du travail de l'esprit aussi. Je veux vraiment montrer que la BD n'est pas qu'un médium « distrayant » au sens péjoratif du terme, mais qu'il s'agit d'un médium avec une puissance évidente, qui permet de redonner chair à la Grande Guerre, en en recréant l'atmosphère. Avec une dimension artistique très forte, et un impact important sur les mentalités collectives. Il faut vraiment redonner au 9ème art la place qu'il mérite dans le champ culturel.

> Interview Jacques Tardi


Publié dans rencontres

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